Jean-Pol Tassin, neurobiologiste, illustre l'histoire de la découverte du circuit de la récompense et du rôle de la dopamine.
En latin tardif, addictio désigne la contrainte par corps, le fait de donner son corps en gage d’une dette.
J. Bergeret (Le psychanalyste à l’écoute du toxicomane, Paris, Dunod, 1981) l’emploie dans une perspective psychanalytique :
- la dépendance corporelle reviendrait inconsciemment pour le sujet à régler une dette, la dépendance physique du toxicomane devenant l’équivalent d’une peine auto-infligée.
La
source de la dépendance serait ce sentiment de dette, lié par exemple à
des carences affectives qui amènent le sujet dépendant à payer « par
son corps » des engagements contractés et non tenus.
Chez
les rongeurs, les drogues d’abus entraînent une activation locomotrice
et la répétition des injections produit une augmentation de cette
réponse, appelée sensibilisation comportementale. Cette sensibilisation
comportementale se maintient plusieurs mois après la dernière prise,
rappelant ainsi la sensibilité aux drogues que conservent les
toxicomanes longtemps après le début du sevrage. Bien que les propriétés
des drogues d’abus soient généralement considérées comme dues à une
augmentation de la libération de dopamine dans le noyau accumbens, nous
avons montré, dès 2002, que des souris dépourvues de récepteurs
alpha1b-adrénergiques perdaient les effets locomoteurs et récompensants
des psychostimulants et des opiacés, comme la cocaïne ou la morphine.
En 2004, nous avons montré qu’une autre composante, sérotoninergique de type 5-HT2A,
partageait avec les récepteurs alpha1b-adrénergiques le contrôle de
l’effet des drogues d’abus. En 2006, nous avons montré en utilisant des
animaux dépourvus de récepteurs alpha1b-adrénergiques ou 5-HT2A,
que les systèmes noradrénergiques et sérotoninergiques se contrôlaient
mutuellement et que des prises répétées d’amphétamine entraînaient une
dissociation de cette inhibition mutuelle. Nous avons vérifié que cette
dissociation, qui peut être assimilée à un « découplage », se maintient
sans aucune diminution, comme la sensibilisation comportementale, au
moins un mois après la dernière injection d’amphétamine. En 2007, nous
avons montré que ce découplage entre les neurones noradrénergiques et
sérotoninergiques apparaît aussi lors de prises répétées de cocaïne, de
morphine et même d’alcool. Quelle que soit la drogue injectée de façon
répétée, le découplage est bloqué, comme la sensibilisation
comportementale, par un pré-traitement avec des antagonistes des
récepteurs alpha 1b-adrénergiques et 5-HT2A.
Nous avons donc proposé un nouveau concept de la pharmaco-dépendance qui
considère que les drogues d’abus découplent les neurones
noradrénergiques et sérotoninergiques, ces derniers devenant autonomes
et hyper-réactifs. Le toxicomane sevré est alors hyper-sensible aux
émotions, et la drogue, en re-créant la situation qui a donné lieu au
découplage, devient une source de soulagement temporaire.
En
utilisant un bloqueur spécifique de la dopamine, nous avons montré que
ce découplage ne dépendait pas de l’augmentation des taux
extracellulaires de dopamine. Enfin, les injections d’anti-dépresseurs
mixtes –qui bloquent les recaptures de noradrénaline et de sérotonine-
ne découplent pas, confirmant ainsi le lien entre le découplage et les
propriétés addictives.
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